Combien de fois avons-nous entendu que « l’on peut discuter de tout, sauf des chiffres », histoire de clouer le bec à ses interlocuteurs : or, justement, lorsqu’il s’agit d’un tas de chiffres, il y a matière à discuter et les mathématiques sont une aide précieuse pour en faire un tout. Martine Quinio Benamo, avec son livre Un grain de riz sur l’échiquier — les mathématiques, c’est politique (éditions de l’Atelier, février 2023), nous invite à nous indigner à l’égard du manque de scrupules dans l’utilisation des chiffres à des fins politiques, économiques et sociales.
Pour cela, Martine Quinio Benamo revient sur ce qu’est une attitude mathématique, attitude que tout citoyen peut endosser même s’il n’a pas d’appétence pour les mathématiques. Nous avons tendance à confondre à tort des énoncés très différents et une attitude mathématique permet justement de comprendre notre méprise ; ainsi, « la proportion de délinquants parmi les jeunes des banlieues » et, par une inversion de mots, « la proportion de jeunes des banlieues parmi les délinquants » ne sont pas à confondre et il s’agit de remettre les choses dans le bon ordre, ce qui suppose une maîtrise du langage pour définir avec précision les termes employés.
Qualifier puis quantifier
Trop souvent les discours mettent sous le boisseau cette étape de qualification, indispensable puisqu’elle constitue un préalable pour comprendre des données chiffrées, par exemple un pourcentage qui est une mise en relation avec un ensemble de référence : savoir qui fait partie de cet ensemble et qui n’en fait pas partie peut nous éviter un certain nombre d’erreurs de raisonnement ou de tomber dans un piège tendu (ici, ce serait de mettre le focus sur le numérateur, alors que l’important se joue au dénominateur), consciemment ou non, par un interlocuteur.
Ainsi, savoir changer de représentation peut être salutaire : par exemple 0,01 % ne donne pas le même ressenti que 1 cas sur 10 000 !
Faire des mathématiques ne se résume pas à des calculs, c’est bien plus que cela comme nous le montre Martine Quinio Benamo : le choix des exemples qui illustrent son propos permet de s’approprier les différentes démarches de la pensée mathématique qu’elle explore. Elles reposent sur deux piliers que sont l’imagination, l’intuition d’une part et , d’autre part, la démonstration, les règles du raisonnement déductif ; système 1 et système 2 de Daniel Kahneman dont nous a aussi parlé David Bessis avec son ouvrage Mathematica : une aventure au cœur de nous-mêmes, en ajoutant un système 3 qui assure le dialogue entre les deux autres systèmes.
Un bien commun à partager
Martine Quinio Benamo affirme avec force que « les mathématiques sont un bien commun à partager, pour comprendre ce qui se joue dans le monde et mieux intervenir dans le débat public » : cela justifie pleinement que les mathématiques soient enseignées à tous les niveaux et ne soient pas une option. Tous et toutes, nous n’avons pas besoin d’être des experts et d’en faire une spécialité, mais nous avons besoin de bien comprendre les raisonnements à l’œuvre quand on parle de croissance exponentielle ou d’espérance de vie par exemple.
Un des exemples phares de l’ouvrage (il lui donne d’ailleurs son titre) est celui de la légende des grains de riz sur un échiquier : cet exemple permet de saisir ce que représente une croissance exponentielle et de la distinguer d’une croissance linéaire. Ce distinguo, comme nous le rappelle Martine Quinio Benamo, était largement passé à la trappe lors des communications sur la pandémie du Covid-19, nous laissant à penser qu’il s’agissait d’additions alors que la situation requerrait de faire appel à la multiplication !
Voici les grandes lignes de l’ouvrage :
- Introduction
- Entrez en Mathématiques, étonnez-moi !
- Les mathématiques, c’est politique !
- Qu’est-ce qu’un modèle mathématique ?
- Rôle des mathématiques de la prévision
- Pour conclure. Qui parle ?
Cet ouvrage, enthousiasmant, s’adresse à tout citoyen⋅ne et donnera largement matière à réflexion aux professeur⋅e⋅s de mathématiques, de la maternelle à l’université. Je vous engage à lire aussi la recension d’Alice Ernoult publiée dans AFDM (La revue de l’APMEP).
D’autres ouvrages ont des objectifs très proches. Notamment L’Art de ne pas dire n’importe quoi — ce que le bon sens doit aux mathématiques de Jordan Ellenberg (éditions Cassini, novembre 2018), ou plus ancien, Plus vite que son nombre — déchiffrer l’information de Sylviane Gasquet (éditions du Seuil, mai 1999) qui proposait de développer un enseignement de la dynamique des chiffres. Une association, Pénombre, offre un espace de réflexions et d’échanges sur l’usage du nombre dans le débat public ; son site a été mis en sommeil en 2019.
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