
Les écoles d’été STIM
L’an dernier, Benoît Gaudeul, Nguyen-Thi Dang, Rémi Leclercq et moi avons accepté d’accueillir un groupe d’élèves dans le cadre des écoles d’été STIM [1] de l’université Paris Saclay. Il s’agit d’un « projet qui a vocation à lutter contre l’autocensure, à initier et sensibiliser les jeunes, et particulièrement les filles, aux disciplines scientifiques avant les choix d’options et d’orientation ».
Nous avions proposé une demi-journée sur les pavages avec visite du LMO [2]. On avait initialement prévu des activités sur les pavages apériodiques de Penrose avec deux triangles. L’actualité de la recherche du mois de mars a fait que l’on a décidé de travailler sur le pavage apériodique avec une seule tuile. Notre but était de montrer à des adolescents notre travail quand on fait de la recherche : lire des articles, discuter avec des collègues, se poser des questions, essayer d’y répondre, douter, se tromper, faire des expériences, exposer ses travaux…
Organisation de la matinée :
- 9h-9h40 : accueil et visite du LMO,
- 9h45-10h15 : exposé-discussion sur les pavages puis goûter,
- 10h15-10h35 : jeu libre avec les tuiles du pavage apériodique,
- 10h35-12h15 : temps de recherche en petit groupe,
- 12h15-12h30 : temps de restitution de chaque groupe.
Accueil et visite du LMO
À 9h, le mardi 27 juin 2023, nous accueillons 24 filles, élèves de 4e de collèges variés de l’académie de Versailles, de leurs accompagnateurs et de leur marraine de la semaine. On leur remet un drôle de badge (en forme de tuile chapeau ou manteau…).
La visite du LMO débute par un petit tour dans l’Amphi Yoccoz et une bonne dizaine de minutes dans la bibliothèque, cela permet de discuter de notre travail d’enseignants-chercheurs : quels sont nos outils, dans quelle langue on parle ou on lit les maths, avec qui on travaille, qui sont nos collaborateurs…
Puis, nous sommes monté voir le service informatique, nous avons été accueillis par Jérémy Gosse qui nous a montré les salles informatiques et les salles des serveurs tout en expliquant son métier (Jérémy est au service du LMO pour tout ce qui concerne l’informatique pour l’enseignement) et son parcours. Il a visiblement été entendu par ces jeunes filles, Jérémy a eu un parcours qui leur parle : un bac pro, un BTS avec des difficultés à se concentrer sur ses études puis une licence en alternance qui l’a fait réussir. Nos parcours à nous auraient été trop inaccessibles si on les leur avait présentés en introduction à cette matinée.
Découvrir la salle des serveurs est l’occasion, pour les élèves, de poser plein de questions : « pourquoi y a-t-il autant de fils de toutes les couleurs à l’heure du téléphone portable et du wifi ? » ou sur les études actuelles pour devenir informaticien et s’occuper d’un réseau. — Je ne crois pas qu’elles aient osé dire « informaticiennes » alors que très clairement certaines en rêvent.
Un travail sur les pavages
Arrivé dans une grande salle de classe disposée en îlots (4 de 6 places), on demande à nos 24 élèves de s’installer où elles veulent. Les accompagnateurs restent en retrait et on commence à discuter à bâtons rompus sur les pavages… euh d’abord du carrelage de leur cuisine ou de leur salle de bain.
On les fait parler histoire de fixer le vocabulaire ou plutôt les définitions mathématiques qu’on va employer dans la suite de la séance. On a délibérément laissé le projecteur vidéo de côté et on a juste affiché quelques posters avec des pavages périodiques, puis des pavages de Penrose avec deux triangles ou deux losanges.
![]() les carreaux d’Alhambra
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![]() pavage triskel Alhambra
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Certains sont trop petits, c’est l’école d’été, ce n’est pas grave : les élèves viendront voir au tableau ; on les a aussi plus petits sur une feuille qui pourra être posée sur leur table.
Des pavages de Penrose :
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![]() source article Pavage de Penrose Wikipedia
CC-BY-SA 4.0 |
On arrive donc à leur faire dire comment on peut faire un pavage périodique puis Thi leur explique qu’il existe aussi des pavages apériodiques, et surtout, elle leur dit qu’un groupe de 4 mathématiciens a montré qu’il en existe avec une seule tuile. C’est un théorème qu’on peut illustrer et qu’on peut comprendre :

© D. Smith et al./CC BY 4.0
Certaines élèves n’en reviennent pas, il n’y a pas que le théorème de Pythagore dans la vie ! Cela a été aussi pour nous l’occasion de revenir sur le temps en mathématique, sur les conjectures…
Avant d’enchaîner, il est temps de faire une pause avec des mini-viennoiseries et des boissons. C’est l’occasion de discuter entre-elles — elles ne se connaissent que depuis une journée — et avec les accompagnateurs.
Jouer librement avec les tuiles : faire ses expériences
On a continué à discuter et à travailler mine de rien. Nous avions un grand stock de tuiles en plexiglass (merci Samuel Lelièvre et le Fabrikathon de Nancy [3]) et chacune des élèves en a eu une trentaine à disposition. Elles ont essayé de paver le plan avec et elles se sont rendues compte que c’était finalement très difficile ! Les sujets de conversations ont changé : leur pavage, de la façon dont elles s’y prennent, certaines au hasard, d’autres en essayant de faire des amas un peu plus gros et ensuite les assembler ensemble. Nous nous étions répartis un enseignant-chercheur par îlot et on les a observées et écoutées.
On a conclu ce temps en leur disant que nous aussi, comme elles ont pu l’expérimenter librement, on fait des expériences sur les questions de mathématiques qu’on se pose.
Le temps de la recherche
Lors de cette partie de l’atelier, on leur a d’abord demandé de se poser des questions sur ce qu’elles venaient de faire. On ne leur a surtout pas dit qu’il y aurait une restitution car je pense qu’elles auraient censuré certaines de leurs questions. Pour anticiper cette partie, on avait passé environ une heure tous les quatre à jouer avec les tuiles et à imaginer quelles questions des élèves pourraient se poser.
C’est très difficile au départ pour les élèves visiblement, elles ne savaient pas qu’en maths, on se posait des questions.
Certaines continuent à paver, on ne peut pas arrêter le groupe de Thi, elles en ont plein leur table, elles sont très occupées à trouver des méthodes pour être sûres de pouvoir raccrocher les petits morceaux de pavages au gros morceau déjà construit, elles sont obligées de détruire des petits bouts pour que ça marche… Au bout d’un moment, Thi leur montre l’article An aperiodic monotile de David Smith, Joseph Samuel Myers, Craig S. Kaplan, and Chaim Goodman-Strauss, « c’est en anglais, on ne va rien comprendre Madame ! » Mais si ! Il y a plein d’annexes avec des figures, et finalement elles réussissent à voir les méta-tuiles de rang supérieur qui y figurent et à comprendre le pourquoi des couleurs de la figure qu’on leur a montrée pour leur énoncer le théorème.
Le groupe de Rémi a voulu savoir comment on a tracé une tuile et elles se sont intéressées aux angles de la pièce. Avec pleins d’arguments de géométrie du collège (y compris des symétries, des rotations, des sommes d’angles), elles ont réussi à donner la mesure de chaque angle et ensuite elles ont regardé si la somme de ces angles vérifiait une propriété analogue à celles qu’elles connaissaient : elles pensaient à « dans un triangle la somme des angles est égale à 180° et dans un quadrilatère elle est égale à 360° ». Elles ont été tenaces (il y a 13 sommets…), elles ont réussi à trouver tous les angles et leur somme valait ce qu’il faut !
Le groupe de Benoît s’est aussi posé la question de dessiner une tuile, elles ont pris une feuille, fait la figure d’une tuile et l’ont découpée en triangles semblables : un triangle rectangle dont l’un des côtés autour de l’angle droit est deux fois plus long que l’hypoténuse. Cela a été très compliqué de décrire ces triangles mais une fois qu’elles ont compris qu’elles pouvaient dire que l’un des côtés était de longueur 1 et l’hypoténuse de longueur 2, tout est devenu facile. Cela leur a déjà permis de calculer via le théorème de Pythagore la longueur du dernier côté (ouf, on a retrouvé le théorème qu’elles connaissaient !) puis les longueurs de tous les autres côtés de la tuile. En plus, elles auraient pu avoir tous les angles car elles connaissaient les angles du triangle qui a servi au découpage… mais il aurait fallu une ou deux heures de plus.
Mon groupe a vu les ordinateurs et a voulu dessiner la pièce avec GeoGebra (les accompagnateurs avaient envie de faire pareil…). Les élèves avaient remarqué qu’en disposant 6 tuiles « en ronde », on pouvait faire apparaître un trou qui est un hexagone et que si on imaginait bien on pouvait voir des hexagones un peu partout.

Elles ont tracé assez rapidement un hexagone sur l’ordinateur puis un autre et enfin 6 autres autour du premier. Après il fallait trouver une méthode pour tracer les tuiles sur le réseau d’hexagones. Il fallait donc réussir à trouver les longueurs en fonction de la longueur du côté de l’hexagone. Comme le groupe de Rémi, elles ont utilisé les arguments de la géométrie du collège pour se convaincre puis montrer qu’il y avait la mesure du côté de l’hexagone et la moitié de celle-ci. Il y avait aussi une troisième longueur qu’elles ne voulaient pas calculer et elles se sont convaincues qu’elles s’en sortiraient avec les angles : « il y en a qui ont des rapports avec l’angle droit et d’autres avec celui qui permet de découper un angle de 360° en trois angles égaux » (qu’est-ce qu’il a été dur à calculer ce 120° ! Elles n’ont pas osé sortir leur téléphone, mais auraient bien aimé une calculette pour diviser 360 par 3… « On est en vacances, Madame ! »). Elles ont réussi avec un peu d’aide à placer correctement environ la moitié des sommets, là aussi elles avaient été très ambitieuses et auraient bien eu besoin d’au moins une heure de plus.
Le temps de la restitution
Vers midi dix, on a tout arrêté et on leur a demandé de préparer quelques minutes de restitution du travail du groupe pour toute la classe. C’est la panique, elles disent qu’elles ne vont pas être capables… On explique que, de temps en temps, on part en conférence pour exposer nos travaux ou écouter nos collègues parler des leurs. On va faire comme si c’était une conférence, on donne un peu moins de cinq minutes par groupe.
Tour à tour, chaque groupe va au tableau. J’anime et c’est donc plus facile pour moi de donner la parole au groupe qui a cherché avec moi.
C’est difficile de prendre la parole mais, en les questionnant habilement, j’arrive à leur faire dire ce qu’elles ont cherché à faire et ce qu’elles ont trouvé ; elles n’ont pas idée de faire une figure au tableau, un polygone avec 13 sommets c’est compliqué d’en parler sans figure ! Les autres les y obligent par leur questions, elles voient l’utilité réelle de la figure à main levée et du codage qu’on leur impose au collège. On les félicite, on applaudit, elles n’en reviennent pas.
Le deuxième groupe qui passe, c’est celui de Rémi qui complète la figure et nous expose le calcul juste de leur somme d’angle. On fait un aparté sur les sommes des angles des polygones : elles ont vérifié ici que cela est juste sur un cas particulier pas simple du tout. Bravo à vous !
Puis vient le tour du groupe de Benoît, (on sent bien que le groupe de Thi n’est toujours pas prêt pour parler… si on les écoutait, elles n’ont fait que jouer…) elles s’appuient sur ce que le premier groupe a fait et montrent leur triangulation et tous les calculs qu’elles ont fait avec. Là, c’est vraiment un théorème qu’elles ont démontré, elles ont de quoi être fières !
Enfin le groupe de Thi arrive, elles racontent finalement ce qu’elles ont fait : « joué mais aussi lu un article, enfin des bouts avec des dessins ! » mais elles se rendent comptent qu’elles sont finalement capables d’expliquer le système des méta-tuiles de rang supérieur. Des applaudissements pour elles aussi !
On conclut très rapidement cette matinée, on redit les étapes de notre travail de recherche. On leur distribue un petit document qui leur permettra de garder une trace de la journée et d’en discuter avec leurs proches. On se remercie mutuellement : on a vraiment passé un bon moment que ce soit nous, comme ces élèves de 4e et leurs accompagnateurs. Ces jeunes filles étaient peut-être réticentes au départ d’arriver dans un aussi beau lieu, d’avoir 4 matheux pour elles toutes seules. Elles ont osé faire ce qu’on leur proposait, de temps en temps en râlant, mais très clairement elles étaient fières d’elles et elles avaient de quoi !
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