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La réforme : quel impact sur l’enseignement des mathématiques dans les lycées d’enseignement général ?
Article mis en ligne le 12 mars 2019
dernière modification le 10 mars 2019

par Didier Missenard

Une situation intenable

Un constat est désormais largement partagé : le système de filiarisation en vigueur n’est plus tenable.

Depuis 1902, l’enseignement en lycée est organisé en filières. D’abord centrées sur les langues anciennes (classes classiques vs modernes), à partir de 1994 sont construites les filières actuelles (L, ES, S), issues des fusions de filières plus stratifiées.

Or, au fil des années, la filière L s’est étiolée, perdant en particulier la quasi-totalité des élèves intéressés par une double formation, littéraire et mathématique : elle ne regroupe plus que 14% des flux de seconde générale vers la première, et continue sa baisse.

À contrario, la première S accueille maintenant plus de 52% de ces élèves, et ce taux croît d’année en année.

Conséquemment, se retrouvent en première S des élèves n’ayant pas toujours une grande appétence pour les sciences, en dépit de l’intitulé de la filière : en effet, en sortie de seconde, un élève n’ayant pas de goût pour l’écriture n’ira ni en L, ni en ES, du fait de la présence au bac d’épreuves de dissertation à forts coefficients. Et, même en difficulté scolaire, il ira le plus souvent en première, les taux de redoublement ayant été drastiquement réduits.

De ce fait, les résultats en fin de cycle, en TS, sont désormais, de manière flagrante, bimodaux, les classes étant clivées entre les élèves donnant à voir des compétences en sciences, et ceux qui n’y arrivent guère, mais qui, souvent, réussissent bien en langues, ou en Histoire.

Cette situation est dommageable à tous, enseignants comme élèves. Les premiers sont écartelés entre la nécessité de former des élèves qui continueront à étudier les sciences en post-bac, et celle de permettre aux autres de simplement réussir le bac, les forts coefficients allant sur les disciplines scientifiques. Les seconds sont aussi tiraillés, entre leur envie d’aller plus vite dans les apprentissages, ou d’aider leurs pairs en difficulté à tenter de les combler.

 

Une nouvelle structure en première et terminale

En quelques lignes, en particulier pour les collègues enseignant en collège, je résumerai la teneur de la réforme qui entre en vigueur dès septembre en première : je ne détaillerai pas ce qui concerne la classe de seconde, qui n’est pas modifiée en profondeur par la réforme. L’horaire hebdomadaire de mathématiques y est de 4 heures.

Les filières disparaissent donc : nous suivons ainsi le chemin déjà tracé par d’autres pays, d’universitarisation du secondaire supérieur, où les élèves choisissent, pour une part croissante, les disciplines qui leur seront enseignées.

En première, les élèves conservent des enseignements communs : Français (4h), Histoire-Géographie (3h), langues vivantes A et B (4h30), EPS (2h), EMC (Enseignement Moral et Civique, 18h/an), mais aussi une nouveauté, l’Enseignement Scientifique (2h).

Chaque élève devra choisir trois enseignements de spécialité parmi 12 possibles (mais qui ne seront pas tous disponibles dans tous les lycées) :

- Arts
- Biologie-écologie
- Histoire, géographie, géopolitique et sciences politiques
- Humanités, littérature et philosophie
- Langues, littératures et cultures étrangères
- Littérature, Langues et cultures de l’antiquité
- Mathématiques
- Numérique et sciences informatiques
- Physique-chimie
- Sciences de la vie et de la terre
- Sciences de l’ingénieur
- Sciences économiques et sociales.

Chaque spécialité disposera d’un horaire de 4h hebdomadaires.

En terminale, les enseignements communs sont analogues, à ceci près que le Français s’y voit remplacé par la Philosophie, et que l’horaire des langues vivantes passe à 4h.

Le choix de l’élève devra se porter sur deux des trois disciplines de spécialité choisies en première : l’horaire de ces spécialités passe à 6h hebdomadaires.

Par ailleurs, en Première comme en Terminale, des enseignements optionnels peuvent être proposés par les lycées (l’élève ne peut en demander qu’un seul en Première, mais au plus deux en Terminale, à raison de 3h hebdomadaires pour chacun) :

- Langue vivante C
- Arts
- EPS
- Langues et cultures de l’antiquité
- Droits et grands enjeux du monde contemporain
- Mathématiques expertes
- Mathématiques complémentaires.

NDLR : précisons que les spécialités Mathématiques expertes, Mathématiques complémentaires et Droit et grands enjeux du monde contemporain ne peuvent être choisies qu’en terminale.

 

Les programmes

En Seconde

Pour ce qui est de la Seconde, le programme évolue surtout quant à son écriture, où l’on retrouve des éléments factuels, mais aussi des indications qui étaient plutôt dévolues au document-ressource.

Le texte insiste sur les compétences à mettre en œuvre, la diversité des activités, l’usage de logiciels, la place de l’oral et celle des traces écrites, où l’on retrouve sans surprise des éléments déjà pointés dans le rapport Villani-Torossian, et dont la plupart font consensus.

On notera, au-delà de l’incitation classique à un appui sur l’Histoire, des éléments plus précis, sériés par domaine, témoignant d’une volonté affirmée des auteurs des programmes d’insérer notre discipline dans une culture. Le traitement est analogue pour l’algorithmique, désormais mise en œuvre via Python dès la seconde.

Les contenus, s’ils s’appuient sur les mêmes concepts fondamentaux que les programmes précédents, vont au-delà, et proposent aussi des approfondissements. Certaines démonstrations font aussi partie explicite des programmes.

On notera qu’en géométrie le programme se cantonne au plan, sans interdire des activités de géométrie dans l’espace, mais seulement via des activités. La trigonométrie et le radian passent en première. En analyse, la notion de parité revient, après une longue éclipse. Le concept de valeur absolue sera aussi à nouveau à enseigner, tout comme l’irrationnalité de racine de 2.

En Première

Le style adopté est le même que celui du programme de Seconde.

Pour ce qui est des contenus, on y retrouvera l’essentiel de l’actuel programme de première S (suites, second degré, dérivation, produit scalaire, géométrie repérée, probabilités, variables aléatoires). Néanmoins, les probabilités conditionnelles seront désormais traitées en première, ainsi que la fonction exponentielle. S’y ajoute aussi la trigonométrie jusqu’ici enseignée en seconde. Pour l’algorithmique, la notion de liste apparaît logiquement, en lien avec les suites.

En Terminale

Le programme de l’enseignement de spécialité de Terminale, comme ceux des deux enseignements optionnels de mathématiques de Terminale ne sont pas connus à l’heure où j’écris ces lignes.

 

La situation à la veille de la rentrée 2019

Les chamboulements induits par cette réforme ont beaucoup inquiété dans les établissements. Du point de vue des enseignants, ce sont les incertitudes relatives aux horaires qui ont suscité les plus grandes inquiétudes.

En effet, le choix des enseignements de spécialité à offrir a fait l’objet de débats, et de conjectures relativement à l’adéquation entre l’offre possible et les desiderata des élèves. Des simulations ont souvent été réalisées dans les lycées à partir de sondages proposés aux actuels élèves de Seconde, mais il reste clair que des alea subsistent, et que certaines disciplines risquent de voir se réduire leur vivier d’élèves ; ce qui pourra mettre en jeu des postes d’enseignants.

Pour ce qui est des enseignants de mathématiques, se pose aussi la question de l’enseignement de spécialité NSI (Numérique et Sciences Informatiques, en Première puis Terminale), ainsi que celui de l’Enseignement Scientifique (enseignement obligatoire de Première).

Pour ce dernier, la lecture du programme ne laisse pas de place explicite aux mathématiques, mais semble privilégier les sciences expérimentales : si le préambule met bien l’accent sur l’Histoire, et le rôle des mathématiques pour modéliser, il restera, pour que les enseignants de mathématiques puissent s’impliquer dans cet enseignement, à initier des collaborations transdisciplinaires analogues à celles qui se sont fait jour via les TPE (Travaux Personnels Encadrés, qui voient cette année leur dernière occurrence) ou MPI (Mesures Physiques et Informatiques, enseigné en Seconde jusqu’en 2010).

Quant à NSI, la question est brûlante, car les enseignants ayant validé la (lourde) formation à l’enseignement de spécialité ISN (Informatique et Sciences du Numérique, actuellement dispensé en TS), n’ont pas toujours bien accepté l’injonction de devoir suivre une nouvelle formation certificative : la DGESCO (Direction Générale de l’Enseignement SCOlaire) n’a semble-t-il pas, en la matière, fait preuve de beaucoup de diplomatie.

La même problématique concerne aussi l’enseignement SNT (Sciences Numériques et Technologie), qui sera, à partir de la rentrée 2019, un enseignement obligatoire de Seconde pour 1h30 hebdomadaire. Son programme traite principalement des réseaux et des applications de l’informatique.

 

Un risque

Sans statistique précise à ce jour, il est difficile de se faire une idée claire du futur paysage des lycées d’enseignement général à la rentrée 2019.

Néanmoins, au gré des informations récoltées de-ci de-là, il semble que beaucoup d’élèves de Seconde privilégient l’enseignement de spécialité mathématiques en Première. En effet, les informations émanant de formations post-bac variées (et pas seulement scientifiques) insistent souvent sur le caractère formateur de cette discipline, et incitent les élèves à la choisir.

Le risque réel serait qu’alors les enseignants de mathématiques ne se voient à nouveau comme ceux de la discipline reine : dans les années 1980, la réforme dite « des mathématiques modernes » avait eu cette malheureuse conséquence, les mathématiques ayant alors pris le rôle jadis (et longtemps) dévolu au latin-grec, celui de la discipline de sélection.

Les mathématiques ont ainsi laissé de très mauvais souvenirs aux élèves d’alors, et elles en pâtissent encore. Beaucoup de collègues actuellement en poste n’ont pas connu cet épisode, et ne peuvent bien imaginer l’impact qu’il a eu ; l’ayant vécu, je ne peux que les inciter à la modestie…

 

Perspectives

La fiction n’a rien d’une science…

S’il y a néanmoins une prédiction qui risque d’être réalisée, c’est que cette nécessaire réforme prendra quelques années à trouver une structuration satisfaisante. C’est exactement ce qui s’est passé pour Parcoursup, qui a beaucoup effrayé, alors que ce dispositif s’est révélé une véritable amélioration d’APB, même si des ajustements, en cours, ont été nécessaires.

On peut souhaiter le même destin à cette réforme, mais il faudra qu’elle résolve plusieurs problèmes prévisibles :

  • Beaucoup d’élèves privilégieront probablement l’enseignement de spécialité mathématiques.
     
    Il ne faudrait pas que se rejoue dans cet enseignement le drame qui est le quotidien des TS actuelles, où trop d’élèves se confrontent aux sciences par choix tactique, mais sans en avoir l’appétence.
  • L’ « Enseignement Scientifique » de Première a vocation à offrir une culture scientifique à tous les élèves, même à ceux qui ne choisiront aucune spécialité scientifique dans leur cursus.
     
    Il serait important que le rôle spécifique que jouent les mathématiques dans les sciences y soit relaté ; or, les programmes tels qu’ils sont présentés, et les contraintes liées aux postes, risquent d’avoir pour conséquence que seuls des enseignants de Physique-Chimie ou de SVT enseigneront là.
     
    Il y a fort à parier que peu d’entre eux auront les compétences pour travailler ce qui ressort de l’épistémologie des mathématiques. Pour que les enseignants de mathématiques impulsent une collaboration avec ces derniers, encore faudrait-il qu’ils soient eux-mêmes formés en la matière ; dans la plupart des cursus de master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), un module d’Histoire est bien présent, mais je doute qu’il suffise, tel quel.
     
    Histoire et épistémologie des mathématiques devraient, pour lui donner tout son sens, irriguer l’ensemble de l’enseignement des mathématiques, à commencer par les cursus universitaires ; c’est loin d’être encore le cas.
  • Informatique et mathématique ont plus que des points communs : les mathématiciens professionnels s’en sont bien rendu compte, puisque presque tous ont recours à l’informatique, soit comme outil, soit comme appui conceptuel.
     
    Cette évolution n’est pas encore faite par tous les enseignants de mathématiques, même si la situation évolue en bien. Néanmoins, les enseignements de la spécialité NSI et de SNT en seconde risquent de pâtir d’un défaut d’enseignants, si peu d’enseignants de mathématiques acceptent de s’en saisir.
     
    Le ministre a décidé la création d’un CAPES d’informatique ; au vu du destin de l’option informatique du CAPES de mathématiques, qui voit ses candidats, déjà peu nombreux à sa création, diminuer encore d’année en année, je ne suis, personnellement, pas très optimiste quant à son attractivité.

En conclusion, je suis persuadé du fait qu’une réforme est indispensable, et, personnellement, je pense que le ministre a raison de vouloir la mener rapidement, même si, très probablement, il faudra des années pour aboutir à un dispositif satisfaisant.

Pour pallier certaines des difficultés prévisibles, il faudra que les nouvelles formations initiales d’enseignants de mathématiques (qui vont succéder aux master MEEF) intègrent en particulier une part croissante d’Histoire et d’épistémologie, ainsi qu’un enseignement plus approfondi d’informatique. Ces remarques valent aussi pour les licences de mathématiques, ainsi bien sûr que pour le concours de l’agrégation.

Nous devons donc nous attendre à des difficultés à la rentrée 2019 ! Elles sont inhérentes à toute nouveauté…

 

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Les Chantiers de Pédagogie Mathématique n°180 mars 2019
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