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Vers un enseignement différencié pour chaque élève
Article mis en ligne le 6 octobre 2021
dernière modification le 11 août 2023

par Matthieu Chiaramonte

Introduction

Depuis que j’enseigne, j’essaye de faire évoluer ma pratique afin de la rendre plus adaptée à tous les élèves dans leur apprentissage des mathématiques.

Ce qui me motive est donc que tous les élèves progressent sans exception et atteignent un niveau convenable.

Ce qui me motive également est qu’ils changent leur manière d’apprendre et deviennent plus indépendants. À cela s’ajoute aussi l’envie de leur faire voir les mathématiques différemment, ce qui reste beaucoup lié à la manière de les enseigner.

J’ai donc fait évoluer ma pratique chaque année, jusqu’à me stabiliser sur une méthode depuis maintenant deux ans. Généralement, j’ai tendance à attendre d’être suffisamment sûr de moi avant de partager quoique ce soit, mais la tutrice universitaire de mon stagiaire m’a sollicité en ce sens cette année pour rédiger cet article et j’ai finalement trouvé que c’était le bon moment.

J’enseigne au collège Denis Diderot à Massy, en banlieue Parisienne, depuis ma titularisation en 2015. Le public est très hétérogène que ce soit en terme social ou de niveau scolaire. Il y a 6 ou 7 classes par niveau et environ 730 élèves chaque année.

 

Évolution en quelques années

2015 — 2016

Je découvrais le collège et j’ai alors décidé de poursuivre avec un enseignement classique, comme je l’avais effectué l’année passée lors de mon stage en lycée : par chapitres, où chaque chapitre correspond à une partie cloisonnée des mathématiques, en alternant leçon écrite au tableau et recherche d’exercices, et avec des évaluations notées sur 20. C’était un enseignement descendant avec le professeur au tableau et les élèves rangés en ligne face au tableau.

Ma progression était donc tout aussi classique : enchaînement d’une quinzaine de chapitres, en essayant de spiraler.

Les élèves avaient deux cahiers, un pour les leçons et un pour les exercices.

Je suis à nouveau ressorti frustré de cette année là et ce pour plusieurs raisons :

  • On enchaîne les chapitres avec un rythme effréné (un chapitre peut difficilement durer plus de deux semaines) :
    • Les élèves qui ont des difficultés/lacunes et qui sont volontaires n’ont pas le temps de les surmonter/combler.
    • Ceux qui n’arrivent pas à suivre le rythme ou ne sont pas volontaires, abandonnent rapidement le chapitre en cours car ils savent que dans très peu de temps, nous changeons de chapitre.
    • Le fait d’enchaîner autant de chapitres différents donne vraiment le sentiment, que ce soit côté élèves ou côté professeur, d’être emballé dans une machine infernale voire de bourrage.
  • Les élèves subissent le cours (enseignement descendant), ce qui tend à rendre beaucoup d’entre eux passifs, et il y a un rapport frontal à la classe (professeur continuellement face aux élèves en ligne).
  • Les évaluations notées ne me paraissaient pas aider les élèves à progresser.

2016 — 2017

En plus des points négatifs cités précédemment, j’ai souhaité prendre en compte les différents résultats énoncés par le neuroscientifique S. Dehaene [Deh10] : j’ai décidé de créer de la continuité dans mon enseignement afin qu’aucun élève n’ait envie de s’échapper face à ses difficultés et en leur donnant le temps d’y remédier.

J’ai alors choisi de procéder par thèmes : Nombres et calculs, Géométrie à la règle et au compas, Mesures et applications. Chaque grand thème regroupait les chapitres correspondants dans le bon ordre de découverte des notions.

Cette méthode permettait aux élèves de changer petit à petit leur état d’esprit face au travail :

  • Il leur était nécessaire de comprendre ce que l’on faisait puisqu’ils en avaient besoin tout le trimestre.
  • Ils étaient moins pressés/stressés car la continuité des chapitres leur permettait de pouvoir comprendre au fur et à mesure, même en faisant moins d’exercices lors des premiers chapitres.

Mais le problème principal fut que, même si je réinvestissais les notions via des devoirs maison pendant les thèmes suivants, les élèves passaient trop de temps sans utiliser les notions des thèmes précédents.

Aussi, l’évaluation notée ne me satisfaisait toujours pas : en plus de ne pas aider les élèves dans leurs apprentissages, cela influençait trop fortement leur niveau de confiance et donc leur rapport aux mathématiques.

2017 — 2018

Ainsi, pour contrer le point négatif de la méthode précédente, j’ai décidé de faire les trois thèmes en parallèle : chaque semaine il y avait une heure pour chaque thème (et une semaine sur deux, l’heure supplémentaire était consacrée à la résolution de problèmes et aux TICE).

Les élèves avaient un cahier pour chaque thème (partie leçons au recto et partie exercices au verso). Et j’ai commencé cette année là une double évaluation compétences/notes.

Il y avait donc cette fois une double continuité :

  • Continuité pour chaque thème comme l’année précédente.
  • Continuité entre tous les thèmes puisqu’il n’y avait plus d’alternance sur une trop longue période.

Cependant, deux points négatifs sont rapidement apparus :

  • L’organisation avec les quatre cahiers était compliquée, plusieurs élèves se trompaient à chaque fois de cahier.
  • Les élèves ont déjà beaucoup (trop) de matières différentes et, quelque part, j’étais en train de créer des sous matières. Ce qui créait aussi un sorte d’emploi du temps dans l’emploi du temps.

2018 — 2019

Cette année là j’ai souhaité recentrer mon enseignement sur l’intérêt premier des mathématiques : résoudre des problèmes, qu’ils soient appliqués à d’autres domaines ou internes aux mathématiques. C’est l’énième écoute de certaines interviews du mathématicien Alain Connes et la relecture d’un rapport dont il est le co-auteur [BBC + 04] qui m’ont ramené sur ce chemin.

J’ai donc essayé de produire une méthode combinant cette approche des mathématiques et les points positifs des méthodes des années passées, et qui résoudrait tous les points négatifs cités jusqu’à présent.

J’ai ainsi arrêté de procéder par chapitre sur des notions précises. J’ai décidé de proposer des séquences plus longues : une séquence est introduite par un problème original à chercher, qui regroupe plusieurs notions différentes du programme à maîtriser et qu’un élève n’est donc pas sensé pouvoir résoudre. La leçon présente ensuite ces nouvelles notions avec des exercices techniques en appui. Le problème d’introduction est ensuite à nouveau recherché, ainsi que d’autres problèmes divers.

Ce type de séquence permet toujours un travail continu des notions, motivées par un problème, que ce soit à l’intérieur de la séquence (qui est équivalente à deux ou trois chapitres) ou entre les séquences (la résolution de problèmes à chaque séquence permet de revenir continuellement sur des notions déjà vues). Les élèves avaient cette fois-ci un seul cahier, et ils enchaînaient les parties de leçon avec les exercices s’y rapportant.

Avec cette nouvelle méthode j’ai eu envie de faire un gros changement dans ma manière de travailler avec les élèves : je les ai mis en îlots (6 îlots de 5 élèves), j’ai enlevé le bureau qui était à côté du tableau pour le mettre le long des fenêtres, et j’ai fait installer d’anciens tableaux blancs sur tous les murs (chaque îlot avait alors accès à la moitié d’un tableau blanc). Je n’ai évalué que par compétences cette année là. Je me suis rappelé de la pratique d’un référent académique que j’avais visité lors de mon année de stage et je m’en suis inspiré : j’ai donné la possibilité aux élèves de choisir quand passer les interrogations et de les repasser si besoin.

J’avais alors résolu tous les points négatifs que j’avais pu rencontrer jusqu’à présent. Il ne me restait « plus qu’à » résoudre ceux qui sont généralement toujours présents lorsqu’on enseigne à des classes nombreuses et très hétérogènes avec un enseignement où les élèves doivent suivre un avancement commun, au même rythme :

  • Les moins bons élèves ou ceux avec des difficultés sont trop tirés et/ou sont trop tentés de se comparer, et ainsi de se dévaloriser.
  • Les meilleurs élèves sont constamment freinés et tendent à s’ennuyer.
  • Les élèves doivent tous être attentifs en même temps : le professeur s’épuise et plusieurs élèves (les moins concernés) réussissent toujours à passer à travers les mailles du filet.

Mais je venais d’établir une méthode qui allait me permettre de dépasser ce « mur » : il fut difficile de se lancer au début, mais au milieu de l’année le besoin se faisait trop ressentir et j’avais de plus en plus confiance que cela allait fonctionner et être bénéfique à tout le monde.

Je vous présente donc la méthode complète dans la section suivante, qui n’est autre qu’une amélioration de celle-ci.

 

Ma méthode

Le fonctionnement se fait par séquences (d’une durée équivalente à deux ou trois chapitres) et l’organisation de la classe se fait par îlots (idéalement avec un tableau blanc pour chaque îlot).

Pour chaque séquence (un exemple de séquence est disponible en téléchargement), l’élève a une feuille de route qu’il doit suivre en totale autonomie, sur laquelle il coche au fur et à mesure les cases de ce qu’il doit faire :

  • Lire/écrire/apprendre une partie de la leçon.
  • Rechercher des exercices ou des problèmes.
  • Vérifier ses exercices avec la correction (idéalement avec des tablettes à disposition de chaque îlot).
  • Réviser et passer une interrogation écrite.

Les élèves avancent donc chacun à leur rythme. Par exemple, certains élèves peuvent être à la séquence n°3 alors que tous les autres sont encore à la séquence n°2. Ce qui implique qu’ils ne passent pas les interrogations écrites en même temps : ils les passent au fur et à mesure qu’ils avancent sur leur feuille de route, et ils peuvent les repasser autant qu’ils veulent.

Chaque séquence est introduite par un problème de mathématiques original (appliqué ou interne aux mathématiques), suffisamment difficile au premier abord et regroupant plusieurs des notions qui vont être étudiées dans la séquence. Le but est que les élèves se mettent dans une situation de recherche : une situation où on a un problème à résoudre et on n’a pas forcément les connaissances directes ou les meilleurs outils pour y arriver. Cela leur permet de comprendre que c’est normal de ne pas savoir ou de ne pas réussir tout de suite. La séquence leur apporte ensuite tout le savoir supplémentaire pour réussir à le résoudre efficacement et, à la fin, les élèves refont le problème : ils peuvent alors se rendre compte directement de l’utilité de ce qu’ils viennent d’apprendre (l’idéal est que l’élève prenne le temps de comparer ses deux différentes rédaction du problème).

Le reste de la séquence est construit sur un enchaînement rythmé de parties de leçon et d’exercices techniques afin que l’élève maîtrise ces notions.

Des interrogations écrites courtes (inférieures à 20 minutes) sont à passer durant chaque séquence. Elles sont évaluées par compétences pour chaque savoir-faire technique évalué : rouge (l’élève n’a pas réussi), jaune (l’élève a fait des choses correctes ou a compris l’idée), vert (l’élève a réussi).

C’est grâce à ce travail rythmé et répété, d’enchaînement d’exercices et d’interrogations que l’élève acquiert les compétences techniques nécessaires et fait le plein de confiance avec les compétences « passées au vert » au fur et à mesure.

Une fois cela fait et le problème d’introduction de la séquence à nouveau cherché, une feuille de problèmes en lien avec la séquence en cours et les précédentes sont à chercher. Dès qu’un élève a tout terminé, il peut passer à la suivante. Si un élève n’a pas trop de retard et que certaines interrogations n’ont pas été très bien réussies, il doit les repasser. Si un élève a accumulé trop de retard, il est allégé en exercices/problèmes et doit se focaliser sur les interrogations (une ultime possibilité pour le mettre en situation de réussite est de lui donner l’interrogation à l’avance pour qu’il la prépare avant de la passer).

Chaque élève peut communiquer avec les camarades de son îlot, soit pour aider ou demander de l’aide (en terme de gestion du bruit la communication inter-îlots n’est pas autorisée) et si un tableau blanc est à leur disposition, ils peuvent se lever pour s’expliquer les choses au tableau : j’ai toujours fait 6 îlots de 5 élèves avec une règle de maximum deux élèves au tableau.

Les îlots sont construits en fonction des classes mais idéalement j’essaye de créer des îlots qui fonctionnent bien :

  • Soit suffisamment homogène en terme de niveau pour éviter la comparaison directe et la perte de confiance qui amène inévitablement l’élève à baisser les bras.
  • Soit accepter davantage d’hétérogénéité si certains binômes fonctionnent vraiment bien ensemble.

En ce qui concerne le déroulement de la séance en tant que telle, elle comporte différents temps. En début d’heure, il y a un premier temps de mise en activité avec une question flash sur des notions déjà vues (même sur du programme des années antérieures) que nous corrigeons en classe entière. Suite à cela, certains passent une interrogation et les autres poursuivent leur feuille de route.

Je privilégie ensuite les explications directement aux groupes ou en individuel (idéalement avec le tableau blanc à disposition du groupe). J’ai alors beaucoup de temps pour faire cela puisque je n’écris plus de leçon au tableau ni ne dois attendre que tous les élèves aient terminé d’écrire en même temps : je circule alors beaucoup et mes interventions sont ciblées, et sont donc plus proches des besoins de chaque élève.

Il m’arrive aussi de m’asseoir à mon bureau (chose que je ne pouvais jamais faire avant) : certains élèves me sollicitent et m’apportent leur cahier pour des explications individuelles, mais surtout cela me permet d’appeler certains élèves (soit parce-qu’ils deviennent trop bruyants soit parce-que je vois bien qu’ils ne font pas grand chose). C’est extrêmement efficace : je donne un objectif précis à l’élève avec une limite de temps (dont je laisse souvent le soin à l’élève de la déterminer), puis je le rappelle une fois le temps écoulé.

Enfin, tout de même, je fais par moment des temps en classe entière (parfois aucun mais jamais plus de deux), soit préparés à l’avance et qui peuvent alors s’apparenter à une sorte de mini-conférence sur une notion précise, soit improvisés suivant les questions récurrentes que j’ai pu avoir en circulant dans les groupes (que j’introduis parfois avec une question flash).

Pour ces moments en classe entière, j’utilise une sonnette à comptoir (j’ai découvert cette pratique auprès d’une formatrice du British Council lors d’une formation à l’ÉMILE/CLIL [1]) : je fais une mélodie et les élèves doivent tous taper simultanément des deux mains. Cela permet trois choses, qui se règlent instantanément, sans avoir à prononcer le moindre mot :

  • Les élèves posent leurs stylos.
  • Les élèves regardent tous le tableau.
  • Les élèves sont attentifs à ce que va dire le professeur.

Enfin, pour que les élèves profitent au mieux de chaque séance, lorsqu’ils reviennent d’un temps de récréation ou lorsqu’ils ont deux heures d’affilées de mathématiques, j’organise un petit temps de méditation pour l’enseignement (inspiré du programme P.E.A.C.E. [2] auquel je me suis formé auprès de l’A.M.E. [3]). J’ai un programme évolutif que j’applique tout au long de l’année, avec différents travaux :

  • Respiration
  • Conscience de soi
  • Conscience des autres
  • Confiance en soi

 

Les évaluations

Les interrogations

Comme expliqué précédemment, c’est le cœur de leur travail quotidien, c’est ce sur quoi ils construisent leur confiance :

  • Il n’y a pas de surprise (l’élève passe une interrogation lorsqu’il se sent prêt) ni de stress inutile (elles sont repassables à volonté).
  • Avant de rendre son interrogation, l’élève s’auto-évalue sur chaque exercice dans un cadre prévu à cet effet : cela pousse l’élève à apprendre à se situer lui-même et c’est souvent un bon indicateur de son niveau de confiance.
  • Les compétences (rouge, jaune, vert) sont actualisées sur Pronote au fur et à mesure.
  • Toutes les interrogations passées apparaissent à chaque trimestre : un point rouge ou jaune ne reste pas au trimestre précédent, l’élève doit donc le retravailler pour le « faire passer » en vert. L’élève n’est ainsi pas tenté de faire d’impasses.
  • Les élèves s’auto-corrigent suite au retour fait par le professeur : parfois directement sinon avec la leçon ou l’aide de leurs camarades. Le professeur valide ensuite leur correction.

Chaque élève la passe seul à une table contre un mur.

J’essaye autant que possible de changer les valeurs à chaque nouveau passage de l’interrogation mais cela demande beaucoup de temps et d’organisation, et finalement ce n’est pas très grave si un élève repasse la même : soit c’est un bon élève et il se focalise sur ses quelques petites erreurs, soit c’est un moins bon élève et cela lui permet de ne pas rater trop de fois et gagner en confiance. Et dans tous les cas, ça les poussent à travailler et apprendre.

Les devoirs maisons

Les devoirs maisons interviennent avant chaque devoir surveillé, ils permettent de préparer un des problèmes qui y tombera : cela pousse les élèves à les faire eux-même et sérieusement.

Ils sont aussi évalués par compétences : la ponctualité, la propreté, la justification des réponses et la vérification des résultats/raisonnements.

La correction est faite par le professeur en classe entière, au tableau.

Les devoirs surveillés

Les devoirs surveillés durent toute l’heure, en classe, et chaque élève est seul à une table. C’est le seul moment où ils ont droit à la calculatrice. Ils sont constitués autant que possible de problèmes à résoudre : un problème du devoir surveillé précédent (avec valeurs différentes), celui du devoir maison (avec valeurs différentes), un ou deux de la dernière feuille de problèmes (avec valeurs différentes aussi mais de sorte que tous les élèves aient le temps de les chercher d’ici le devoir surveillé) et un ou deux inédits. Ces derniers pouvant inclure des notions de la séquence suivante pour ceux qui sont en avance dans les séquences, ce qui permet de différencier les devoirs surveillés : ceux qui ne sont pas passés à la séquence suivante (i.e. la grande majorité de la classe) font les 4 ou 5 premiers problèmes, et les autres les 4 ou 5 derniers.

Dans l’esprit, il est annoncé aux élèves que les problèmes peuvent faire appel à tout ce qu’ils ont pu voir dans leur scolarité en mathématiques jusqu’au moment du devoir : ils tendent à ce sens, au fur et à mesure des niveaux, vers des problèmes type brevet.

Ces devoirs sont annoncés à l’avance (dates déterminées dès le début de l’année) et ils ne sont pas repassables.

L’évaluation se fait aussi par compétence : la propreté, la justification des réponses, la vérification des résultats/raisonnements et l’utilisation des techniques adéquates de résolution.

La correction est personnalisée, elle doit être faite individuellement, à partir de tablettes ou polycopiés : le professeur circule et répond aux questions, interroge et aide les élèves. Ceux qui ont terminé reprennent leur séquence en cours.

Le fait que ces devoirs surveillés soient orientés résolution de problèmes ne les rend pas faciles pour les élèves, d’où l’idée d’en proposer plusieurs qui ont déjà été cherchés en amont. De plus, comme je l’explique dans la section suivante, l’évaluation par compétences permet aux élèves de progresser énormément lors de ces devoirs, même lorsqu’ils ont le sentiment de ne pas l’avoir réussi : ils apprennent alors à faire de leur mieux tout en se confrontant à de la difficulté, mais sans trop de perte de confiance.

Importance de l’évaluation par compétences

C’est l’évaluation par compétence qui permet aux interrogations d’avoir leur double rôle (asseoir les compétences techniques et gagner en confiance) : l’élève sait exactement celles qui sont acquises et celles qu’il doit retravailler. Il a donc envie de les retravailler pour repasser l’interrogation et il produit alors un travail de répétition sans s’en rendre compte.

En ce qui concerne celles évaluées lors des devoirs maison et devoirs surveillés, elles sont très vertueuses : si l’élève cherche à les réussir, il va automatiquement progresser, même sans trouver la solution du problème (ce qui peut toujours arriver).

  • Rendre un devoir maison en retard est évalué, ce qui pousse l’élève à l’autonomie et la rigueur.
  • Évaluer la propreté des devoirs poussent tous les élèves à s’appliquer un maximum, même ceux qui rendaient à la base des devoirs sales ou illisibles.
  • L’évaluation de la justification des réponses poussent tous les élèves à ne pas donner des résultats bruts sans explication, ils cherchent à formuler des phrases autant que possible.
  • Évaluer la vérification des résultats/raisonnements est sans doute la compétence centrale des progrès chez les élèves, elle est extrêmement efficace par son double rôle : premièrement cela pousse les élèves à se relire afin d’éviter les erreurs bêtes, mais surtout cela pousse les élèves à se poser des questions sur le sens de leurs calculs/phrases et sur la validité de leurs raisonnements. Ce sont ces efforts qui les font réellement progresser en mathématiques.
  • Enfin, l’évaluation de l’utilisation de techniques de résolution adéquates pousse les élèves à chercher parmi leurs connaissances mais aussi à associer des techniques à des problèmes spécifiques, et ainsi se forger une capacité à résoudre des problèmes variés.

 

Préparation et fournitures

Cela demande beaucoup de préparation en amont :

  • Taper toutes les séquences, interrogations etc.
  • Taper (je les écris sur tablette) toutes les corrections des exercices techniques (aucune correction n’est donnée pour les problèmes, à part pour le problème d’introduction et ceux des devoirs maison et surveillés).
  • Avoir toujours les interrogations de prêtes à chaque cours.

En terme de fourniture, les élèves ont un seul cahier et un porte-vues :

  • Le cahier est leur travail écrit : cela permet une meilleure visibilité, que ce soit pour l’enchaînement général des séquences ou pour le lien leçon/exercices d’applications (ils doivent tirer un trait noir à chaque changement).
  • Le porte-vues est la référence : ils y rangent la fiche méthode de rentrée (avec les dates des devoirs surveillés annoncés à l’avance), les séquences (problème d’introduction, objectifs, feuille de route, leçon, exercices, problèmes), les interrogations, les devoirs maisons et les devoirs surveillés.

 

Un exemple type de séance

Les élèves entrent en classe et sortent leurs affaires (parfois, lorsque j’ai le temps, avec une musique de film/documentaire et/ou avec une vidéo scientifique en fond pour créer une ambiance agréable de travail). Puis j’attends le silence et autorise les élèves à s’asseoir.
 
Je lance la question flash et pendant ce temps je fais l’appel. Puis je corrige ou fais corriger en classe entière.
 
Je demande qui souhaite passer une interrogation : ces élèves mettent/vont à une table contre un mur. Les autres reprennent là où ils s’étaient arrêtés sur leur feuille de route.
 
Je circule, motive et réponds aux questions.
 
Je m’assoies à mon bureau et j’appelle certains élèves pour qu’ils me montrent ce qu’ils ont fait ou font : je leur explique individuellement ou leur donne un objectif de travail qu’ils minutent eux-mêmes.
 
Je ramasse les interrogations : si il n’y en a pas trop je les corrige directement avec l’élève à côté de moi à mon bureau.
 
Je re-circule, re-motive, re-réponds aux questions. Puis je rappelle les quelques élèves déjà appelés à mon bureau pour vérifier l’avancement de leur travail.
 
J’utilise la sonnette et fais une explication à la classe entière sur un point important.
 
Les élèves reprennent leur travail et je re-circule une dernière fois.

 

Évaluation de la méthode

Cette évaluation est le produit de ma propre analyse et de mes discussions avec les élèves (que je faisais en fin d’année) et certains parents lors de différentes rencontres/réunions.

Avantages

Les élèves avancent à leur rythme :

  • Les meilleurs ne sont pas freinés.
  • Les moins bons ne sont pas pressés.
  • Les moyens peuvent prendre le temps lorsque nécessaire.
  • Ils ont davantage la possibilité de s’entraider et prennent vraiment le temps de le faire au sein de leur îlot.

Les élèves sont responsabilisés :

  • Le professeur n’est pas toujours derrière eux : soit ils s’entraident soit ils le sollicitent pour faire vérifier leur avancement.
  • Ils ont la possibilité de se lever pour utiliser le tableau blanc ou pour une explication/vérification au bureau du professeur.
  • Ils ont la possibilité d’aller voir la correction (sur une tablette ou manuscrite, à disposition ou à demander au professeur suivant les classes ou les îlots).
  • Ceux qui perturbent le groupe et/ou la classe sont sortis du groupe et sont mis à l’écart avec leur table face à un mur : ils doivent alors travailler seuls.

Plus de clarté pour tout le monde :

  • L’élève sait exactement ce qu’il doit faire sur toute la séquence, il n’y a pas de surprise.
  • Les parents peuvent suivre précisément l’avancement de leur enfant.
  • Le professeur peut cibler/personnaliser ses explications suivants les compétences non encore validées.
  • La réduction des séquences magistrales en classe entière où on mesure très mal le suivi des élèves.

Plus de temps pour le professeur pour être auprès des élèves en besoin et les aider.

  • Le professeur peut intervenir spécifiquement quand un élève bloque et a vraiment besoin d’aide.
  • Le professeur a de nombreux moments pour appeler certains élèves à son bureau pour leur faire une explication individuelle ou leur fixer un objectif précis et minuté.

Les élèves qui rattrapent un devoir surveillé ou qui sont absents, en retard ou exclus ne loupent jamais de moments importants de cours pouvant compromettre leur avancement et ils n’ont donc jamais rien à rattraper sur leurs camarades.

Moins de pression, moins de stress, plus de sens, plus de répétition :

  • Les élèves peuvent repasser les interrogations (évaluation par compétences) : c’est leur niveau de technicité en mathématiques, c’est sur cela qu’ils peuvent prendre confiance. Ils y mettent du sens et on s’assure ainsi qu’ils répètent plusieurs fois les choses moins bien comprises.
  • Les devoirs surveillés sont uniquement ceux de résolution de problème : les élèves comprennent que ces devoirs plus longs et difficiles peuvent être ratés mais que ce n’est pas une fatalité si ils continuent de travailler régulièrement à côté et se concentrent sur les compétences évaluées.

Inconvénients et perspectives d’amélioration

L’arrêt des leçons écrites au tableau en classe entière. D’ailleurs, cette méthode répond à de nombreuses recommandations du rapport Villani-Torossian [VT18] mais pas à celle-ci, celle de la place du cours magistral et du rôle du professeur dans celui-ci (pages 24-25).

  • C’est un point négatif dans le sens où la construction d’un cours au tableau dans des conditions idéales (élèves tous suffisamment intéressés et de niveau homogène) est très intéressante (avis que j’ai aussi souvent entendu et énoncé par le physicien et philosophe des sciences Etienne Klein, et que je partage).
  • Ce manque est cependant pallié par des moments d’écoute en classe entière lorsqu’une notion est détaillée au tableau ou lors de questions flash.
  • Mais il est surtout pallié par un suivi beaucoup plus individualisé et optimal de chaque élève : l’élève est alors directement concerné par les explications qu’il reçoit du professeur et ce dernier peut s’assurer de la parfaite écoute, concentration et compréhension de l’élève.

Cela demande beaucoup de préparation pour le professeur en amont pour que le cours reste fluide, surtout lorsqu’on met en place cette méthode pour la première fois pour un niveau donné. Le risque d’être débordé ou de se faire déborder est grand.

Il y a la possibilité que les bavardages et le bruit augmentent.

  • Mais il y a beaucoup de solutions pour réussir à gérer cela facilement et efficacement, comme énoncées précédemment : communication inter-îlots non autorisée, se positionner à son bureau et observer la classe dans son ensemble puis appeler certains élèves et leur donner des objectifs précis et minutés, isoler un élève de son groupe etc.
  • Comme pour tout c’est avec la pratique, qu’année après année, on acquiert l’expérience qui permet de mieux gérer les différentes problématiques rencontrées et liées à ce fonctionnement.

Des problèmes d’autonomie de la part des élèves peuvent se faire ressentir sur les plus petits niveaux.

  • Il faut guider davantage les élèves, surtout en début d’année.
  • Il ne faut pas hésiter à alléger le nombre d’exercices à faire au cas par cas.

Cette méthode compromet grandement toute progression commune au sein de son équipe disciplinaire.

  • On peut toujours s’arranger pour faire coïncider ses séquences avec les chapitres des collègues mais c’est à éviter : mis à part que cela risque d’être difficile d’inventer un problème d’introduction adéquat, cela casse complètement l’approche sous-jacente de cette méthode.
  • Il est toujours possible de s’accorder pour se retrouver au même stade d’avancement pour les devoirs communs/brevets blancs.

Cette méthode étant nouvelle pour les élèves, ils peuvent avoir des difficultés à s’y adapter.

  • Lorsque c’est le cas, il ne faut pas hésiter à passer du temps à ré-expliquer et guider davantage.
  • Il ne faut pas hésiter non plus à rassurer les élèves, mais aussi se rassurer soi-même : les résultats de cette méthode se font ressentir sur le long terme (changement d’attitude, reprise de confiance, amélioration du niveau) et même si il y a des sentiments d’échecs qui peuvent apparaître en cours de route, il ne faut pas lâcher car cette méthode ne marche pas si on l’applique dans la demi-mesure car c’est un changement radical d’approche et de la manière de fonctionner. C’est une nouvelle dynamique qu’il faut enclencher et, par exemple, le moindre changement comme le fait de noter sur 20 au lieu d’évaluer par compétences peut compromettre cette dynamique.

Les élèves travaillent énormément l’oral, que ce soit lorsqu’ils vont au tableau pour réfléchir à plusieurs ou s’entraider, ou lorsqu’ils sont seuls au bureau du professeur. Mais ce point pourrait davantage être approfondi et ainsi tirer profit au maximum de cette méthode qui s’y prête merveilleusement.

 

Bibliographie

[BBC + 04] Roger Balian, Jean-Michel Bismut, Alain Connes, Jean-Pierre Demailly, Laurent Lafforgue, Pierre Lelong, et Jean-Pierre Serre. Les savoirs fondamentaux au service de l’avenir scientifique et technique, 2004.

[Deh10] Stanislas Dehaene. La bosse des maths. Odile Jacob, 2010.

[VT18] Cédric Villani et Charles Torossian. 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques, 2018.

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°190 octobre 2021
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