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Quelle stratégie pour faire une place à la compétence « chercher » en classe ?
Article mis en ligne le 5 juillet 2023
dernière modification le 26 octobre 2023

par Marion Pacaud

Trouver du temps pour chercher

Sur les six compétences mathématiques enseignées [1], quel temps accordons-nous au travail propre de la compétence chercher ?

Certains enseignants engagent leurs classes dans des projets pédagogiques de recherche, à travers des dispositifs déjà éprouvés (Olympiades de mathématiques, MATh.en.JEANS, clubs, etc.) ou plus personnels. Ces projets se mènent généralement sur des créneaux dédiés. Dégager du temps supplémentaire reste un frein pour la plupart des enseignants.

Chercher peut trouver sa place dans le temps ordinaire de nos cours, en s’intégrant à nos programmes. Malheureusement, lorsque nous demandons aux élèves de chercher, face à un exercice ou une autre activité, nous nous heurtons parfois à une inertie, inhibition ou paresse d’élèves habitués à des solutions qui tombent vite. Ainsi, bien souvent, le temps prévu pour laisser chercher paraît du temps perdu et nous y mettons fin par une correction. Certains élèves auront peut-être réellement cherché, mais ne laisseront pas trace de cette activité intermédiaire, jugée impropre à la communication et sans valeur une fois la solution trouvée.

Dans le cadre d’un laboratoire de mathématiques, nous cherchons entre enseignants à faire de la place au travail de cette compétence, à travers des expériences simples, ne nécessitant pas de dispositif extraordinaire. Au contraire, plus nos questions de recherche s’intégreront naturellement à nos progressions, plus nous pourrons en faire des temps convaincants de l’activité mathématique des élèves.

L’expérience décrite ici a été menée en classe de terminale. Que se passe-t-il quand les élèves cherchent ? Cette activité intermédiaire entre une question et une solution a-t-elle une valeur propre ?

 

Une expérience en classe de terminale

Je cherche un moment ordinaire : le rituel de début d’heure, qui consiste à projeter trois questions, pour développer des automatismes. Voici les trois questions du jour. Si les deux premières visent bien à activer des automatismes, la troisième, vise à mettre les élèves en situation de recherche. Dans cet article, on ne s’intéressera qu’à la troisième question.

Le premier temps de recherche dure une dizaine de minutes.

Pendant les deux premières minutes, j’observe silencieusement le groupe. Une élève, ayant un très bon niveau, fait les yeux ronds à la lecture de la question. Un autre dit à mi-voix « c’est 9, je pense ! ».
Ensuite, je circule pour observer, sans intervenir, l’écrit des élèves. Je veux repérer ce que les élèves jugent bon d’écrire, puis y prélever matière à animer la discussion. Je vois des réponses, sans trace de raisonnement, en relève quatre, qui se contredisent :

  • Non
  • Oui, c’est 9
  • Oui, c’est 8,9
  • Oui, c’est 8,89

Je reviens face aux élèves. Je demande d’abord qui n’a pas de réponse, mais aucun élève ne se manifeste. J’écris alors les quatre réponses au tableau et demande à toute la classe : « Est-il possible que plusieurs de ces réponses soient vraies ? ».

Quelques élèves répondent spontanément « non, car il n’y a qu’une limite. »
Je relance : « Une ? ».
Une élève répond : « ou zéro. ».
J’interroge alors l’élève qui avait répondu « non ».
L’élève : « On peut juste dire que ça reste inférieur à 9. »
Moi : « Qui ça ? »
La voisine de l’élève : « Toute la suite. »
Moi : « Et c’est important, ça, pour répondre à la question ? »
Une troisième élève : « Non, pas trop, car on pourrait aussi bien dire inférieur à 10, ça ne dit pas grand-chose. »
Je renvoie vers le groupe : « Ça ne dit pas grand-chose ? »
Une excellente élève : « Ça veut dire que la suite est majorée et, si on admet qu’elle est croissante, alors elle a forcément une limite finie. »
Un autre élève : « Oui, mais on ne sait pas laquelle. »
Je conclus alors : « On ne sait pas laquelle, on reviendra sur cette question jeudi. ».

Un élève, plutôt en difficulté, me demande alors de lui confirmer qu’on a admis la croissance, mais qu’on n’a rien démontré. Je le lui réponds « ce sont de vraies conjectures, des propositions dont on a l’intuition qu’elles sont vraies, mais qui restent à démontrer. »

 

Le deuxième moment dure environ un quart d’heure

Au cours suivant, je réécris les quatre réponses au tableau, distribue une feuille A4 vierge à chaque élève. Sous ces quatre propositions, j’écris « La bonne réponse est-elle au tableau ? ». Je leur demande une réponse argumentée, par écrit, pour convaincre la classe. Je relève les feuilles à la fin de l’heure, un quart d’heure plus tard.

On y lit :

« La limite est indéfinissable. »
« Il n’y a pas de raison qu’on s’arrête de rajouter des 8 après la virgule […] on peut continuer à l’infini donc elle n’a pas de limite. »
« Cette suite n’a pas de limite finie précise, il est donc impossible de déterminer un nombre exact qu’elle atteindra mais ne dépassera pas. »
« Elle n’a pas de limite finie car elle tend vers un nombre différent de terme en terme. La limite n’est jamais fixe. »
« Peut-on dire qu’une suite $v$ est la limite de $u$ ? »
« Chaque nouveau terme tend vers le précédent. »
« Je ne sais pas si ne pas avoir de raison signifie ne pas avoir de limite. »
« On ne peut pas répondre avec des conjectures et on ne peut pas montrer qu’elle est croissante et majorée. À notre niveau, on ne sait pas donner l’expression de cette suite. »

Un élève cherche une expression et écrit « $u_{n+1} = u_n + 8 \times 10^{-n}$ et $u_0 = 0$ ».

Enfin, voici la feuille d’un élève, qui ne travaille plus du tout en cours de mathématiques :

Le troisième temps est celui de la solution

Je réserve à nouveau, à deux reprises, la troisième question du rituel de questions flash à ce problème. Réparti sur deux séances (un temps de conjectures, un temps de démonstration), ce moment est très borné : une à deux minutes pour les conjectures et moins de dix minutes pour les démonstrations. Voici la question flash projetée :

Les élèves retrouvent visiblement des réflexes. Quelques-uns reconnaissent immédiatement la suite de la question initiale et je le confirme à l’intention de tous. Je note au tableau les réponses d’élèves à cette diapositive :

  • $u_n > 0$ $\forall n \in \mathbb{N}$
  • $u$ est croissante.
  • $u_n \geqslant 8$ $\forall n \in \mathbb{N}$
  • $u_n \leqslant 8,9$ $\forall n \in \mathbb{N}$
  • $u$ est convergente.

Au cours suivant, je projette cette dernière diapositive :

Un tiers de la classe mène automatiquement des raisonnements par récurrence, sans rencontrer de difficulté. Plusieurs élèves réclament le calcul de la limite, pour finir. La proposition de résoudre $f(x) = x$ pour $f$ définie par $f(x) = 0,1x + 8$ vient spontanément d’une élève. Cette résolution met fin aux recherches. Je propose aux élèves de regarder $\dfrac{80}{9}$ sur leur calculatrice.

 

Analyse a priori : contraintes et questions

Chercher une question

On peut se demander si chercher dans l’enseignement secondaire a le même sens que chercher dans le milieu de la recherche. Les deux ont en commun de faire de la place aux essais, à l’intuition, à l’erreur, au fait de buter, à l’ouverture à tous les cheminements possibles, à la communication de résultats partiels. Les programmes associent la compétence chercher à expérimenter. Toutefois, le milieu scolaire aménage un environnement propice à la progression, à l’évaluation, à l’acquisition d’un socle commun, un environnement d’exercice, qui n’est pas celui de la recherche. Dans cette intention, la situation de recherche doit être modeste, adaptée à la réalité de nos cours, donc limitée dans le temps et contenue par nos programmes.

Sur le fond, je cherche une question qui intrigue. Je tiens à ce qu’une résolution à portée d’élève existe et qu’elle soit au cœur du programme enseigné. Un bon critère me semble qu’un élève idéal fictif puisse y répondre complètement, en toute autonomie, en trente minutes environ. Si en plus la question me donne envie de chercher au-delà, suscite chez moi une curiosité hors-champ, alors c’est encore mieux ; c’est peut-être même nécessaire, pour une bonne question, afin de vivre soi-même le désir de chercher pour mieux le communiquer aux élèves.

Sur la forme, je privilégie une tournure interrogative, avec un point d’interrogation. Si l’énoncé tient en cette seule question, c’est mieux. Je cherche alors une formulation rigoureuse, la moins formelle possible. Un bon critère : que l’élève s’approprie la question dès la première lecture.

Pour la question présente, j’ai par exemple choisi de décrire la suite par les premiers termes, sans recourir aux notations usuelles. J’ai préféré 8 ; 8,8 ; 8,88 etc. à 4 ; 4,4 ; 4,44 etc. pour semer le doute avec un arrondi : dans le premier cas, on est naturellement attiré vers le 9. J’ai choisi « A-t-elle une limite finie ? » plutôt que « Converge-t-elle ? » pour le poids des mots « limite » et « finie ». A posteriori, je réaliserai combien les élèves se sont attachés à chercher un objet (une limite) plutôt qu’à observer le comportement d’une suite. Je ne sais pas s’il en aurait été de même si j’avais préféré le verbe au groupe nominal.

 

Chercher un dispositif

La question du dispositif s’est posée avant la question de la question. Je souhaitais respecter certaines contraintes.

  • Choisir un moment ordinaire pour poser la question, où les élèves sont conditionnés pour vite se mettre au travail.
  • Découper le travail en plusieurs temps de recherche, plutôt courts, que je choisis de suspendre à des moments-clés.
  • Limiter les temps de recherche à vingt minutes.
  • Prévoir un aboutissement, où la solution est mise en lumière.

Viennent alors les questions suivantes :

  • Qu’est-ce qu’un moment-clé ? L’enseignant a-t-il à le provoquer ?
  • Quel est le rôle de l’enseignant pendant les temps de recherche ?
  • Sous quelle forme sera donnée la solution ?
  • Quel rapport auront les élèves à leurs connaissances récentes ?

 

Analyse a posteriori : un éclairage inattendu sur la notion de limite finie

Pendant le premier temps de recherche, l’intention des élèves ne semble pas être de construire un raisonnement, mais plutôt de trouver une limite. Chercher, c’est donc d’abord chercher un objet. L’élève qui répond « non » ne dit peut-être pas que la limite n’existe pas, mais plutôt que lui ne l’a pas trouvée, il répond « non » pour matérialiser la béance. Écrire « non », c’est faire une place à une réponse encore en attente.

La première trace écrite, chez la plupart des élèves, peut n’avoir que ce rôle-là : marquer la place de l’objet cherché. Autrement dit, la première réponse de l’élève est une croyance, et l’élève est conscient de l’incertitude de cette réponse. L’incertitude est de deux natures : douter de la valeur de cette réponse, au sens où elle pourrait être fausse, ou bien au sens où elle peut encore gagner en exactitude.

Le rôle de l’enseignant est de repérer ce moment-clé où le doute est posé. En collectant plusieurs réponses d’élèves, l’enseignant relève matière à remettre du doute en jeu. Ici, les réponses se contredisent. L’enseignant met le groupe face à ces contradictions, ce qui relance la dynamique de recherche.

La discussion qui suit montre que la propriété « si une suite est croissante et majorée, alors elle admet une limite finie » et la propriété d’unicité de la limite sont accessibles, mais qu’elles laissent frustrés une partie des élèves. C’est cette frustration qu’exprime l’élève qui s’assure qu’on n’a encore rien démontré. Cette résistance est aussi un moment-clé, elle peut s’interpréter comme besoin de chercher encore, tant que l’objet n’est pas exhibé.

On observe ensuite les traces écrites relevées après le second temps de recherche.

La trace écrite photographiée a retenu mon attention plus que toutes les autres. D’abord parce que je m’attendais à voir des élèves chercher la limite en testant des rationnels, or seul cet élève s’est lancé dans cette démarche, ensuite parce qu’il s’agit d’un élève qui, depuis plusieurs semaines, avait renoncé à travailler en mathématiques. Alors que j’avais relevé les traces écrites, cet élève a demandé, au cours suivant, s’il pouvait reprendre la sienne pour continuer à chercher. Cette trace écrite est précieuse car elle met en gestes la compétence chercher. Chercher, pour cet élève, ça a été avoir une intuition, motrice, au risque de se contredire lui-même (il ne croit pas en la convergence mais cherche la valeur de la limite), puis multiplier les essais, en fixant le dénominateur et en faisant varier le numérateur. On notera que son choix de dénominateur le maintient dans les décimaux. Alors que d’autres échangeaient spontanément quelques mots avec leurs voisins, cet élève s’était isolé, ne dialoguant qu’avec sa calculatrice. L’activité a montré qu’il pouvait faire preuve de concentration, d’autonomie et de persévérance et que chercher nécessite des temps seul. Contrairement à d’autres, cet élève ne maîtrisait pas les propriétés des suites enseignées à la classe ; le savoir maîtrisé peut être un frein à la recherche, que cet élève n’a pas.

J’ai ensuite classé les copies en tas, pour faire ressortir, par la superposition, le rapport que les élèves entretiennent avec la notion de limite finie. J’ai constitué quatre tas où :

  • les élèves continuent à chercher un objet, si ce n’est pas une limite, c’est une expression de la suite ;
  • plusieurs élèves cherchent à reproduire une technique familière, qui fait perdre de vue le sens d’une limite : exhiber une raison, comme dans le cadre d’une suite géométrique ;
  • la limite est vue comme une approximation (mais de quoi ?) ;
  • le mot « finie » fait obstacle : on cherche une limite finie, alors qu’on entrevoit une écriture décimale illimitée.

Si nous avions déjà relevé le premier point, les trois autres nous éclairent sur l’expérience de la notion de limite finie qu’ont ces élèves. L’activité la plus fréquemment travaillée en classe est l’application d’une technique appropriée au cas de figure (opérations, comparaison). Le cas des suites arithmético-géométriques, où la limite se déduit de la limite d’une suite géométrique, est le plus présent dans les exercices des épreuves du bac. Il est donc normal que les élèves associent la notion de limite au seul registre algébrique et que plusieurs cherchent à se raccrocher aux cas où identifier la raison suffit à se prononcer sur la limite. Déterminer une limite finie ou infinie est souvent le même type de tâche, dans ces exercices. Si l’on demande parfois aux élèves de formuler une conjecture au préalable, elle se fonde sur l’observation des seuls premiers termes, et la limite coïncide avec un majorant évident. Ce cadre familier ne questionne pas la définition de limite finie et entretient chez les élèves une vision restreinte de la notion de limite, sans perspective. On entend par perspective les deux points de vue global/local, ou plutôt, cinématique/statique [2], selon que l’on observe le comportement de l’ensemble des termes en faisant progresser le rang, ou que l’on ait une vision centrée sur la limite.

Derrière l’association limite finie/approximation réside une vraie raison d’être de la notion de limite finie. Les élèves qui cherchent dans cette direction semblent voir la limite comme une valeur approchée de l’ensemble des termes (d’où l’idée de limite variable chez un élève, « différente de terme en terme »). En inversant cette conception, on touche à une famille de vrais problèmes, où, à partir d’un certain rang, tous les termes de la suite sont des valeurs approchées de la limite, avec une précision $\epsilon$ fixée a priori. Certains de ces problèmes sont préconisés par le programme de l’enseignement de spécialité. Pour les élèves qui continueront à faire des mathématiques dans le supérieur, la définition formelle de limite finie deviendra un outil de démonstration, notamment à travers la construction d’objets topologiques.

Un article de Rudolf Bkouche [3] questionne la fonction de la définition dans les programmes du secondaire et sa relation aux problèmes : « ce qui importe pour définir une notion, c’est le type de problème que l’on étudie. […] La définition, loin d’être un préalable à l’activité mathématique, est un premier aboutissement. ». Les exercices proposés en terminale ne font presque jamais travailler la question de proximité entre les termes d’une suite et le candidat limite. Les élèves rencontrent régulièrement des algorithmes de seuil pour les suites qui tendent vers l’infini, mais on en propose peu pour les suites convergentes, et ils supposent d’avoir déjà un candidat limite. L’approche algorithmique peut être une façon de faire vivre la définition, en choisissant des exemples où un même réel est une limite finie ou un point d’adhérence d’une suite divergente. Le recours au numérique permet aussi de passer par la représentation. Représenter peut donner une vision topologique, le besoin d’une définition vient au moment de discriminer des types de comportements.

Enfin, l’obstacle rencontré par les élèves qui écrivent « La limite est indéfinissable » ou « Il n’y a pas de raison qu’on s’arrête de rajouter des 8 après la virgule […] on peut continuer à l’infini donc elle n’a pas de limite » peut être qualifié d’obstacle épistémologique. Il faudrait voir si les élèves rencontreraient un obstacle face à la même question pour la suite 0,3 ; 0,33 ; 0,333 ainsi de suite (sachant qu’il connaissent bien l’écriture décimale illimitée de $\dfrac{1}{3}$, la question est plutôt de voir quelle légitimité ils donnent à l’écriture décimale illimitée). Le statut d’écriture décimale illimitée reste ambigu et cette ambiguïté rend légitime la confusion entre la suite de décimaux et sa limite. L’égalité entre le rationnel $\dfrac{80}{9}$ et le nombre dont l’écriture décimale illimitée est 8,888… ne va pas de soi. La construction des réels par des décimaux sort du programme du secondaire, cependant, on voit là un terrain propice aux bonnes questions. Une petite question ramifiée aux grandes questions de l’histoire des mathématiques est moins anecdotique qu’elle n’en a l’air…

 

Prendre le temps de vivre une relation complexe au savoir

Chercher, c’est chercher quelque chose. Lorsque l’élève s’empare du désir de chercher, il cherche un objet, parfois avec obstination. Ce désir précède le recours à la technique et à la théorie. Il y a un temps pendant lequel l’objet est flou, l’élève croit en son existence, et cherche une représentation. Ce temps paraît nécessaire au cheminement de la pensée. Le raisonnement qui démontre l’existence sans montrer l’objet est prématuré aux yeux des élèves. Il demeure une frustration, cette frustration entretient le désir de chercher. Il y a alors un jeu entre le professeur, qui connaît l’objet, caché des élèves, et les élèves. Qui dit jeu, dit milieu sécurisé. L’élève doit pouvoir chercher en toute sécurité, c’est-à-dire être libre de ses gestes, ne pas avoir peur de l’erreur et sentir que la solution est accessible en temps limité.

Et si l’on remplaçait ces recherches par l’exercice donné en annexe, qu’est-ce qu’on perdrait ? On gagnerait peut-être du temps, en admettant que les élèves les plus réactifs face à un exercice identifié comme classique le traiteraient rapidement. En comptant la correction, le tout serait contenu dans moins d’une heure. En contrepartie, on appauvrirait les relations entre l’élève, le savoir et l’enseignant :

  • Relation élève/savoir :
    lorsque la question de la limite d’une suite est la dernière d’un exercice classique, il est rare qu’elle motive la notion de limite. Cela ouvre des pistes pour d’autres bonnes questions, en allant chercher du côté des suites approchant un irrationnel, questions qui mettraient à l’épreuve l’efficacité de la définition de limite.
  • Relation enseignant/élève :
    la situation de recherche développe la curiosité de l’enseignant pour les représentations des élèves et aiguise son sens de l’observation et de l’analyse. J’ai été surprise de voir au travail un élève qui ne travaillait plus en classe et, inversement, de voir des élèves déstabilisés par une notion que je croyais acquise chez eux. Sans l’analyse des traces écrites des élèves, je n’aurais pas mesuré à quel point le concept de limite finie est encore obscur pour eux. En les laissant chercher avec leurs propres mots, j’ai vu à l’œuvre le conflit entre langage courant et langage formel. D’eux-mêmes, ils montraient les limites du langage courant à appréhender une limite finie. Chercher des causes à ce qui fait obstacle questionne le contenu de mon enseignement. J’ai repéré des manques : algorithmes faisant vivre la définition de limite finie, perspective historique. Ainsi, les traces de recherche des élèves ont transformé mon rapport à la notion de limite finie en tant qu’objet à enseigner.
  • Relation enseignant/savoir :
    pour cette expérience, le type de suite est issu d’un manuel, énoncé d’exercice (voir annexe 1) que je me suis réappropriée en début de carrière sans plus le questionner. Le retailler pour en faire un énoncé classique, qui met en jeu les propriétés vues en classe, aurait été un exercice déjà stimulant (voir annexe 2). Le hasard a voulu que, dans le cadre du laboratoire de mathématiques, une collègue invite un conférencier et que ce conférencier choisisse de nous parler de Cantor et de la théorie des ensembles. Cet échange m’a incitée à aller chercher des repères historiques, sur la construction de l’ensemble des réels au XIXe siècle. Ce détour m’a permis de mieux appréhender ce que la question posée aux élèves avait de déstabilisant. Le format de l’exercice de l’annexe 2 nie cette facette de la question. À travers un énoncé classique, on ne voit pas où est le problème : on voit une simple suite arithmético-géométrique, croissante et majorée, donc un objet familier que l’on croit bien connu des élèves. Le paradoxe est éludé.

Une question qui fait circuler du désir va stimuler les trois pôles du triangle des relations élève-savoir-enseignant [4]. C’est le désir qui va pousser l’enseignant et les élèves à être créatifs, à oser s’approcher des grandes questions, à avoir des interactions qui ne se limitent pas à des échanges de principe.

Cette expérience me convainc que l’on gagne à faire de la place, au quotidien, au travail de la compétence chercher. Ce travail trouve sa place entre la consigne « cherchez cet exercice » et l’événement de type atelier ou projet. Il ne s’agit pas d’organiser un temps de travail supplémentaire, mais plutôt de s’autoriser à questionner une notion au programme, sous la forme de l’expérience plus que de l’exercice. Pour que ce travail porte ses fruits, l’enseignant doit en penser l’organisation et chercher un dispositif qui pourra être reconduit régulièrement. Plus un dispositif est habituel, rodé, plus l’attention de l’enseignant et des élèves porte vite sur le fond. La stratégie mise en œuvre ici s’appuyait sur un cadre, qu’il faudrait mettre à l’épreuve en diversifiant les situations de recherche.

  • La question posée a été pensée, réécrite, pour susciter le désir de chercher.
  • L’enseignant a la responsabilité du rythme. Il suspend les recherches quand il relève un levier qui relancera la dynamique la fois suivante.
  • Les moments de recherche sont courts et réguliers, afin que les élèves soient rapidement en activité.
  • Une trace des recherches orale ou écrite est relevée puis analysée par l’enseignant.

Le troisième temps, celui de la solution, était-il un vrai temps de recherche ? Il tirait peu profit des traces écrites relevées, il n’a pas provoqué plusieurs cheminements. On pourrait imaginer un travail par petits groupes, constitués en fonction du type d’approche. Le temps de la solution nécessiterait lui aussi une stratégie pour rester un temps de recherche.

Quelles suites donner à cette expérience ? Outre faire évoluer le contenu de mon enseignement des limites de suites, j’aimerais prolonger la réflexion, entre pairs, autour de la compétence chercher. D’abord en cherchant d’autres questions, qui associeraient davantage la compétence chercher à d’autres compétences, en les testant à plusieurs, en mutualisant nos idées, au collège comme au lycée. Nous pourrions aussi nous pencher sur une question plus qualitative : quelle progression de l’élève pour la compétence chercher au fil du temps ?

 

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Les chantiers de pédagogie mathématique n°197 juillet 2023
La Régionale Île-de-France APMEP, 26 rue Duméril, 75013 PARIS